De l’abbaye de Clairlieu à Nancy, une lieue. 

Dom Rouget a bien voulu m'y accompagner, et à la chartreuse de Beaufreville (1), où le P. Boucheron, de Beaune, est prieur, distante d’une lieue de Nancy, on passe la rivière de Meuse (2), au gué pour y arriver. Cette chartreuse est fondée, il y a environ cent ans, par le prince Charles de Lorraine. Elle est bien située et belle. 

Dans Nancy, l'église primatiale placée dans une belle et ample place : belle église neuve, autel à la romaine, le chœur derrière - au-dessus de la tête et place du primat . Cap. Sigibetii. Belles rues et belles places, entr'autres celle de le vieile ville ; le collège des Jésuites, les pères Cordeliers, qui ont une chapelle qui sert de dépôt pour les corps des princes et princesses de Lorraine après leur mort ; ils ont leur chœur formé derrière le maître-autel : un autre chœur au devant pour les séculiers. M. Babin , gros libraire-imprimeur. 

A la Poste, près la Primatiale, bon logis. Les rues sont longues, larges , les maisons élevées , plusieurs fontaines. Le village de Bon-Secours, à demy-lieue de Nancy, où le roi Stanislas a fait bâtir aux Jésuites une belle maison pour loger leurs pères que ce prince a choisis pour faire les missions qu'il a fondées en cette province de France. 

Il y a un couvent des Minimes que ledit roi a augmenté en dot et revenus, et fait bâtir leur église, qui est fort belle au dehors et au dedans. Il y a une grande dévotion à Notre-Dame de Bon-Secours. Dans l'église des Minimes, il y a du côté de l'Evangile un fort beau mausolée de la reine épouse dudit roi. 

De là à la Malgrange, beau château dudit roi, belle chapelle ; le bois dans lequel il a fait construire environ une douzaine de cabinets, consacrés à plusieurs circonstances de la passion de N.-S., qui y sont fort bien représentées et expliquées par des vers français qui portent les lecteurs à la piété envers leur Sauveur, lesquels cabinets sont pour cela appelés stations ; beau par les bâtiments, ameublements, jardins, etc. 

A Lunéville, résidence du prince, j'ai célébré la sainte messe chez les pères Carmes réformés : leur couvent est près de la place qu'a fait faire le dernier duc de la maison de Lorraine, Léopold, aussi bien que ledit couvent qu'il a fondé, et dont le roi Stanislas fait construire et embellir l'église. Leur usage est que sur la table du supérieur on tient toujours une tête de mort. Le père Thimothée qui a soin des hôtes me fit présent d'un petit chapelet de bois de Sainte-Lucie, qu'il me dit que les pères travaillaient de ce bois qu'ils ont au pays de Lorraine. Leur père Mathieu m'accompagna par Lunéville, m'expliqua fort bien les différentes pièces du rocher et jardin du château, qui est beau, commode, richement meublé, avec une belle chapelle où repose le Saint-Sacrement. Plus loin, dans le jardin, un salon magnifique. Chez lesdits Carmes , il y a un gros poêle ouvert par le devant, placé au milieu de la chambre; il y a des chenets comme à une cheminée. J'y ai vu dans leur dortoir des femmes qui s'y promenaient, accompagnées d'hommes ; le père prieur y entra, et dans sa chambre, fesant mine de ne pas les voir. Ledit prieur me dit que le roi Léopold, leur fondateur, était un homme de grand génie, consulté sur toutes affaires par les rois et princes souverains.

(1) Lisez : Bosservillc, près, de Nancy.

(2) Lisez : Meurthe.